par jcm
Le développement de nos sociétés depuis deux siècles est indissociablement lié à l’exploitation d'un produit assez facile à se procurer, abondant et concentrant une grande énergie dans un volume réduit : le pétrole.
Il est à tel point omniprésent dans nos vies que vouloir passer une journée sans pétrole, ou quoi que ce soit qui en contiendrait un dérivé, reviendrait, pour la plupart d'entre nous, à passer une journée nu, dehors, sans boire ni manger.
Depuis plus de 40 ans, nous sommes alertés sur la raréfaction à venir du pétrole, nous savons que le ”Peak Oil” nous menace (moment, que l'on ne sait prévoir, où la courbe des découvertes de nouveaux gisement dérochera par rapport à la courbe de notre consommation) et diverses estimations nous préviennent que nous ne disposerons de cette ressource, sous la forme abondante et abordable que nous lui connaissons, que pour un nombre d'années limitées : 10, 20, 40 ans ?
La plupart des analystes de la question montrent de grandes hésitations à fixer une date pour le ”Peak Oil”, certains pensent que d'un point de vue théorique la prévision de cette date est une impossibilité et qu'il pourrait donc survenir dans de brefs délais, ou même appartenir à notre passé récent, sans que nous puissions le savoir.
D’autres, tels Yves Cochet (ancien Ministre de l’Environnement et de l’Aménagement du Territoire, in Pétrole Apocalypse, Fayard, 2004), l’annoncent pour 2007.
Le patron de Total envisage, lui, ce ”Peak Oil” pour 2020 et estime que vers 2050/2055 toutes les ressources pétrolières et gazières seront épuisées si la demande mondiale se stabilise à un taux de croissance de 2% par an (soit, en cumulé, plus de 50% de croissance, d’ici 2030), chiffre avancé comme le plus probable par l’Agence internationale de l’énergie, dont d’autres études.
Il faudrait au minimum que nous réduisions ce taux de croissance à 1% pour disposer d’un délai supplémentaire afin d'affronter mieux armés ce jour où le pétrole serait inaccessible.
Quelle est la signification de cela ?
Le jour où nous saurons que le ”Peak Oil” est devenu une réalité le prix du baril de pétrole, qui peut déjà être affecté par différents types de crises (météo-climatiques, politiques...), augmentera inexorablement et deviendra hors de notre portée pour un nombre croissant de nos activités.
Or nous ne disposons d'aucune solution crédible de substitution au pétrole pour la plupart de nos activités, en dépit de recherches d'énergies différentes.
Le décor est planté : le pétrole va devenir inabordable dans un avenir plus ou moins très proche qui nous laisse un délai incertain pour trouver et mettre en place des solutions alternatives.
Un des problèmes les plus ardus à résoudre est de trouver des produits ayant une teneur énergétique (pouvoir calorifique par unité de masse) comparable à celle du pétrole et que nous saurions rendre abondants, condition indispensable dans l'état de nos connaissances pour que nos avions volent, que nos autos et nos camions roulent et le fassent au rythme que nous imposent les structures de nos économies aussi bien que nos souhaits (pouvoir prendre des vacances loin de chez soi, circuler librement...).
Un autre problème doit être pris en compte : l'élévation du prix du pétrole entraînera l'augmentation du prix de toutes les énergies, de nombreuses substitutions se faisant au fur et à mesure de l'accroissement du prix du baril (typiquement se chauffer au bois quand on se chauffait au fuel).
Une solution envisagée dans le domaine des transports consiste à utiliser la biomasse.
Soyons très clair à ce sujet : il ne sera pas possible pour quel que pays que ce soit de remplacer entièrement sa consommation en pétrole par une énergie de la biomasse, même en imaginant une agriculture à très haut rendement utilisant des techniques très économes en pétrole (notre agriculture actuelle est très grosse consommatrice de pétrole).
Nous ne disposons d'aucune solution de substitution et tentons d'éviter le mélange des genres : l'hydrogène n'est en rien une ”énergie nouvelle” mais seulement un vecteur d'énergie, à l'équivalent de n'importe quelle pile ou batterie : il faut produire l'hydrogène à partir d'une source d'énergie tout comme nous produisons l'électricité qui servira à charger une batterie.
Nous allons donc nous trouver dans une situation au cours de laquelle le prix du pétrole augmentera tandis que petit à petit nous tenterons de mettre en place quelques éléments de solutions de substitution (c'est ce que nous faisons plus ou moins aujourd'hui avec des éoliennes, des chaufferies au bois, des biocarburants...), solutions envisagées dans un contexte d'abondance du pétrole, et qui ne seront donc pas adaptées à une époque sans pétrole car ces solutions de substitution sont toutes, sans exception, consommatrices de pétrole.
Construire une éolienne utilise du pétrole, cultiver du colza également.
Nous voyons bien l'inadéquation profonde des solutions que nous développons avec une période où le pétrole serait inaccessible, et une des meilleures illustrations que nous trouverions à cette inadéquation concerne le domaine des biocarburants, notamment en France.
Les filières choisies par le gouvernement (éthanol, diester) dans le but de ”végétaliser” nos carburants automobiles nécessitent des cycles industriels lourds de transformation de la biomasse, pratiquées dans des unités de transformation de type raffinerie qui devront recevoir des masses importantes de matières premières.
Cela implique que chacune de ces unités de production drainera la production agricole d'une vaste zone géographique pour son approvisionnement, avec pour corollaire que la distribution des produits finis nécessitera aussi de nombreux transports, ce qui sera assez incompatible avec une pénurie généralisée de carburants.
Nous en venons donc à une donnée capitale qui conditionnera la viabilité de toute solution de substitution dans un contexte de crise : son rendement.
De ce point de vue, les filières éthanol et diester placent la charrue devant les boeufs.
Indubitablement, en cas de difficultés, nous serons contraints de privilégier des solutions qui présenteront le plus haut niveau d'efficacité par rapport à l'effort fourni pour bénéficier de leur résultat.
En matière de biocarburants, il existe une autre filière, celle des huiles végétales brutes (ou pures), utilisables en mélange avec le gazole ou pures dans les moteurs diesel : l'obtention de ces huiles nécessite seulement le pressage et la filtration fine des oléagineux : aucune usine impressionnante, la possibilité d'une production/consommation dans une zone géographique réduite (pas de transports), des coûts de production très réduits par rapport aux autres solutions et un impact sur l'emploi probablement bien meilleur.
Un emploi qui serait un problème probablement encore plus vif qu'aujourd'hui en cas de crise pétrolière forte.
De quelque manière que l'on fasse le calcul le rendement thermodynamique des huiles végétales pures ”du champ à la roue” est au moins trois fois meilleur que celui des filières ”diester – éthanol”, leur rendement social atteindrait aussi de meilleures valeurs et surtout la pérennité de cette filière courte aurait de très grande chances d'être supérieure, et de procurer de très grands avantages en cas de crise intense et prolongée (ce qui nous menace).
Nous avons vu que nous ignorons à peu près tout du délai qui nous est imparti avant que le pétrole devienne une denrée rare, et nous savons par ailleurs que toute adaptation nous demandera beaucoup d'efforts, de moyens et de temps : les solutions mises en place aujourd'hui devront être les plus efficaces, les plus viables pour demain.
Pour Action, nous proposons que :
1• les solutions ”diester – éthanol” actuellement privilégiées fassent l'objet d'un moratoire suspendant leur développement.
2• les solutions ”huiles végétales pures” soient développées en France conformément à ce qu'impose la législation européenne, puisque d'un point de vue thermodynamique et social ce sont les plus performantes.
3• une pression soit exercée sur les constructeurs automobiles pour qu'ils fassent en sorte que tous les véhicules diesel deviennent capables d'utiliser de façon officielle (et conditions de garantie à l'appui) des huiles végétales pures : aujourd’hui, c’est possible pour une Renault ou une Peugeot, vendue en Allemagne, pas pour le même véhicule vendu en France. Pourquoi ?
4• pour toute hypothèse concernant les biocarburants une évaluation précise de leur rendement thermodynamique global (du champ à la roue) et de leur impact social soit établie en tenant compte de ce que seraient les conditions d'une époque de pénurie pétrolière, avant toute mise en oeuvre afin que puissent être privilégiées des voies réellement optimales.
Dans le domaine énergétique ”toutes applications confondues” (quel que soit le besoin à satisfaire) nous demandons qu'une évaluation de toute hypothèse de solution soit systématiquement faite avant son industrialisation, en se basant sur le scénario d'avenir le plus défavorable, celui d'une époque de pétrole très coûteux ou inaccessible.
De telles évaluations sont indispensables à notre bonne préparation, qui ne sera pas instantanée, à une époque de pétrole rare et cher.
Observons également que les solutions les plus efficaces pour l'avenir le seront probablement aussi dès maintenant.
Les commentaires récents